TRADUCTION TECHNIQUE ET NOUVELLES TECHNOLOGIES :
MÉTAMORPHOSES DU
CADRE DIDACTIQUE Nathalie Gormezano
Institut Supérieur
d’Interprétation et de Traduction (Paris)
La traduction technique aujourd’hui évolue
rapidement grâce à l’énorme apport des
nouvelles technologies dans ce
secteur, à savoir les moteurs de recherche sur internet,
les sites web
spécialisés, les bases de données en ligne, les lexiques et dictionnaires
électroniques, les logiciels de Traduction Assistée par Ordinateur, la
Production
Assistée par Ordinateur, tous les logiciels multilingues de
spécialités, les logiciels
professionnels dans différents domaines
techniques, les messageries électroniques, etc.
Les transformations qui touchent le travail
même du traducteur, c’est-à-dire non pas
son savoir faire mais sa façon de
faire, sont liées à ce nouvel outil qu’il utilise non
seulement comme un
outil supplémentaire à sa disposition (au même titre que peuvent
l’être les
dictionnaires, les livres spécialisés sur les domaines à traduire, etc.) mais de
plus en plus comme l’outil de la traduction.
Si de toute évidence les outils du traducteur
technique ont changé, il est clair que
l’enseignement de la traduction
technique connaît de fait des transformations. Trois
aspects nous semblent
spécifiques de cette évolution : tout d’abord le travail de
formation sur
les modes de recherche, puis l’analyse des contraintes liées aux
nouveaux
outils, et enfin une nouvelle approche méthodologique du contrôle qualitatif.
MODES DE RECHERCHE ET CONSEIL TECHNIQUE
Le rôle du formateur en traduction technique a
toujours été d’enseigner non pas un
savoir-faire mais un ‘comment’ faire (le
savoir-faire pour sa part s’acquérant à force
de faire). Or, dès
l’apparition des nouvelles sources d’information, le formateur a dû
reconsidérer les modes de recherche et les techniques mêmes liées à la
recherche
documentaire préalable à toute traduction technique, pour y
intégrer les nouvelles
sources en question.
Une fois le document à la portée des étudiants,
il est nécessaire aujourd’hui
d’élaborer une stratégie didactique d’approche
des nouvelles technologies. Le
professeur doit guider les étudiants dans la
maîtrise des outils qui sont à leur portée et
les orienter dans les voies de
recherche les plus congruentes. Il est alors conseiller
technique. Ce rôle
peut parfois dérouter certains étudiants qui ont l’assurance de
dominer
parfaitement ces outils (peu nouveaux pour la plupart d’entre eux). Or,
concrètement, il s’avère que lorsqu’ils sont réellement confrontés à la
recherche, ils
ont besoin de quelques conseils. Il est donc intéressant de
leur proposer des phases de
travail afin de leur permettre de manier ces
outils plus efficacement.
La phase d’étude permet d’utiliser les nouveaux
outils et de réunir une grande
quantité de documents référents, ce qui
permet une approche comparative riche, regard
quantitatif sur le document.
La phase de repérage est une approche plus
qualitative. Les sites référents et les
documents sur sites permettent
d’avoir une vision globale du secteur abordé. Il est
important de référencer
les sites qui pourront être utilisés par la suite. Dans un premier
temps il
s’agit de repérer les descriptifs des différents éléments dans les deux langues
de travail concernées. Pour allier efficacité et rapidité, l’étudiant doit
apprendre à lire
avec l’oeil à l’affût des éléments propres au document
source. Pour ce faire, il est
nécessaire de s’imprégner du document source
avant de le traduire.
La phase d’approche contextuelle permet, une
fois les éléments repérés, identifiés
et définis grâce aux sites référents,
une seconde phase de recherche : la recherche
lexicographique dans les
lexiques et dictionnaires électroniques multilingues et toutes
les bases de
données multilingues en ligne ou personnelles. Les termes techniques
apparaissent souvent multiples selon les documents référents et selon les
usages
(terminologie technique de publication ou terminologie technique
d’usage). Le
formateur doit alors orienter le choix de l’étudiant. S’agit-il
d’un document technique
de publication ou technique d’usage, ou les deux.
Parfois les deux terminologies se
rejoignent, parfois elles diffèrent. Ces
réflexions doivent être menées en contexte à
l’aide des éléments issus des
bases de données et dans une optique analytique. Cette
approche peut bien
entendu permettre aux étudiants d’élaborer leurs propres bases de
données
multilingues complètes (lexique, glossaire, analyse comparative des termes,
etc.).
La phase de visualisation est indissociable de
la phase précédente. Il s’agit
d’apprendre à lire des schémas et à retrouver
des images ou des plans permettant de
repérer les éléments qui ne sont pas
trouvés dès les premières recherches ou qui ne
sont pas clairement
distingués : pourquoi un seul terme dans la langue source pour
trois dans la
langue cible, ou l’inverse par exemple. Chercher à voir les éléments,
schémas ou photos fait partie de la mise en place des bases de données
contextuelles
nécessaires à la traduction. Pour cela, il suffit de repérer
des sites ou de trouver des
logiciels au service de la visualisation. La
grande richesse de documentation actuelle
rend possible une vision détaillée
des éléments sous différentes formes et en un temps
record.
Cette notion de temps fait partie des
métamorphoses didactique et professionnelle :
ce qui se faisait en trois
jours se fait en une heure. Résultat : produire plus en moins de
temps. Il
s’agit de chercher vite et de se déplacer habilement. Pour l’entraînement à la
rapidité, il est possible de donner des temps limites de recherche en
fonction de la
taille des documents et de la phase d’approche. L’étudiant
doit pouvoir résumer le
procédé de sa recherche pour justifier sa
traduction. Certains procédés sont repris,
analysés et critiqués lors des
séances de travail avec les étudiants. La rapidité et
l’efficacité de la
recherche est une phase importante du travail et dans ce cas seul
l’entraînement porte ses fruits, il s’agit d’une phase de logique
indispensable à la
production dans le cadre d’une relation avec un donneur
d’ordre.
Comme on peut le constater, les différentes
phases reprennent certains savoir faire
traditionnels en les appliquant aux
nouveaux outils. Les étudiants d’aujourd’hui
doivent acquérir la dextérité, la rapidité, la
pertinence et l’efficacité dans la recherche
et ainsi, par une pratique
régulière, une méthodologie de la gestion de l’information au
service de la
traduction.
RISQUES ET CONTRAINTES
Dans une deuxième phase, il est nécessaire
d’amener les étudiants à réfléchir sur les
avantages et les inconvénients
des nouveaux outils. Pour ce faire, le professeur peut
montrer les
difficultés et les risques susceptibles d’apparaître lors d’une gestion
maladroite de l’information. Il porte un regard critique sur les sources et
tient lieu en
ce sens de réviseur technique.
Pour pouvoir repérer et réviser de possibles
erreurs, il faut tout d’abord apprendre à
cerner les points d’ambiguïtés, à
savoir exposer et relever les doutes à tous les niveaux,
terminologie, sens,
représentation. Il s’agit d’un travail plus détaillé appelant des
questionnements et des interrogations.
Certaines erreurs de sens sont liées à la
recherche même qui oriente dans de
mauvaises directions. Le ‘net’ comme
outil du traducteur est semé d’embûches. Le
formateur doit apporter aux
étudiants les conseils et les moyens d’éviter les pièges du
net, aussi bien
dans les bases de données (savoir repérer les erreurs ou éléments
douteux)
que dans les sites, descriptifs, etc. Cet apprentissage fait aujourd’hui partie
à
part entière du cours de traduction technique. Sans un guide des pièges et
des
modalités de repérage des pièges, l’apprenti traducteur serait bien mal
en point.
Des erreurs de sens peuvent être également
liées tout simplement, si l’on peut dire,
à une mauvaise lecture des
informations. Il est donc indispensable d’apprendre à lire et
à comprendre
la distribution des actions d’un document technique. Pour ce faire, il est
bon d’insister sur la lecture des déroulements d’action dans le texte source
(représentation temporelle et spatiale) et de reprendre en classe des
déroulements
d’action ou de procédés propres au domaine technique travaillé
et repérés
préalablement par les étudiants sur certains sites, c’est ce que
nous nommons la phase
de représentation spatio-temporelle. Elle marque
l’acte de visualisation des actions
en vue de favoriser l’adéquation image
et sens.
Parmi les contraintes liées aux nouvelles
technologies dans l’enseignement, apparaît
de façon renforcée la question
des choix. Si cette question fait depuis toujours partie
du travail du
traducteur, elle est accentuée face à la multitude de certaines informations
parfois contradictoires ou du moins différentes. Il est nécessaire de
travailler sur des
documents informatifs discordants pour évaluer l’esprit
critique des étudiants et leur
enseigner les techniques et les différentes
voies de réflexion nécessaires à l’acte du
choix.
La question du repérage des ambiguïtés et des
choix, intégrée dans une
méthodologie reposant sur des exemples concrets de
catégories suffisamment variées
et représentatives, permet à l’apprenti
traducteur d’affirmer ses choix et de s’auto-
évaluer après la production.
Savoir mettre à nu des difficultés issues de sources
extérieures, savoir
analyser, raisonner et conclure sur des sources extérieures, c’est
aussi
pour le traducteur savoir porter un regard distant sur sa propre production et
savoir s’auto-évaluer. En ce sens les nouvelles technologies dans la
didactique servent
aussi d’approfondissement pour le travail de correction
et révision des productions
propres aux étudiants. L’informatisation
des données permet d’obtenir ce regard plus
distant sur son propre travail.
L’acquisition de la rapidité dans la gestion de
l’information ne doit donc pas laisser
de côté le contrôle de cette dernière
qui est un élément indispensable. Il faut alors
ajouter aux compétences
citées ci-dessus de rapidité, efficacité, pertinence, une très
grande
rigueur. Il s’agit ainsi de mettre à jour et de faire acquérir une méthodologie
du
contrôle de l’information.
CONTRÔLE QUALITATIF
Ainsi, face à la situation de la traduction au
coeur de la technologie moderne, le
formateur doit tenir compte des
nouvelles sources d’information, enseigner la maîtrise
de ces nouveaux
outils et les moyens d’en tirer le meilleur profit. Il tient à ce titre
également le rôle de conseiller en contrôle qualitatif.
Les étudiants doivent tout d’abord comprendre
l’enjeu de leur travail et prendre
conscience de la nécessité de respecter
en toutes circonstances (manque de temps,
défaut d’information, document peu
clair, etc.) le critère de qualité et ce, dans le but
essentiel d’être
crédible mais aussi de ne pas diffuser d’informations erronées à
l’utilisateur du document : phase déontologique.
A ce titre, il est essentiel que le futur
traducteur sache, de façon complémentaire et
indissociable, faire appel aux
‘anciennes techniques’, à savoir le travail en binôme
avec le ou les
spécialistes du domaine, la lecture d’ouvrages spécialisés, etc. La
traduction une fois effectuée, les quelques doutes qui pourraient subsister
doivent être
levés par l’intervention du spécialiste. Là encore, les
nouvelles technologies peuvent
être mises à contribution. Aujourd’hui il est
plus aisé de communiquer par le biais du
courrier électronique. Il est
possible d’écrire à des services spécialisés à l’aide d’une
adresse mail de
contact ou à des spécialistes par le biais des entreprises ou des
connaissances propres à chacun.
La phase d’affinement permet d’apprendre à
repérer les points de la traduction sur
lesquels subsistent des doutes et à
les résoudre ou du moins à choisir : par exemple
pour la terminologie de
publication ou d’usage, ou encore pour des éléments de
visualisation ou pour
des produits spécifiques, etc.
La phase d’action est celle qui entraîne
l’apprenti traducteur dans le monde du
contact humain : savoir trouver les
bons interlocuteurs, repérer ses propres besoins,
choisir ses
interlocuteurs, se faire un carnet d’adresses en fonction des domaines et
agir concrètement en envoyant des messages électroniques, en utilisant cette
vieille
technologie qu’est le téléphone, etc. Cette phase c’est aussi
apprendre à formuler des
questions claires et précises pour faire perdre le
moins de temps possible à
l’interlocuteur. Il s’agit d’apprendre aux
étudiants à sortir du monde virtuel (acte
inexistant dans les anciennes
modalités didactiques et pour cause) et à revenir dans le
monde réel : le
donneur d’ordre, le délai, la production et bien entendu le produit fini
et
sa livraison. Pour apprendre à jouer contre la montre, il faut toujours mettre
l’apprenti traducteur en situation professionnelle bien ancrée dans le réel.
Toutes les
phases d’études ne doivent pas perdre de vue la phase de
production.
Une fois le document traduit, l’étudiant doit
apprendre à passer la main pour une
ultime phase de contrôle par un
technicien du domaine ou un traducteur spécialisé du
domaine, professeur ou autre, pour une
relecture globale et définitive : Phase de
contrôle qualité.
Enfin, l’apprenti traducteur doit apprendre à
préserver ses recherches en vue de
futures commandes et à stocker ses
informations et bases de données à l’aide de
différents outils actuellement
sur le marché : phase professionnelle de spécialisation.
Dans ce cadre, il doit toujours penser à
actualiser en permanence ses données en
fonction de l’évolution des
secteurs, des produits, des marchés.
Il s’agit dans cette troisième phase
d’apprentissage, de faire acquérir dans le cadre
des nouveaux outils la
méthodologie du contrôle qualité.
CONCLUSION: LES MÉTAMORPHOSES
Ces trois phases didactiques se complètent et
s’intègrent les unes aux autres lors de la
mise en place du processus
méthodologique.
Ainsi, l’expérience montre que, si les
objectifs du formateur n’ont pas changé pour
l’essentiel (développer les
compétences et le savoir faire pour passer d’un texte source
à un texte
cible dans le respect de la qualité), les méthodologies d’approche des
objectifs sont d’ores et déjà métamorphosées. L’étudiant doit avant tout
aujourd’hui
apprendre à gérer l’ampleur de l’information qui s’offre à lui,
à canaliser et à
relativiser parfois les données auxquelles il a accès, et
finalement à contrôler en toutes
circonstances la qualité du document
produit. Ainsi, aujourd’hui, la démultiplication
des sources oblige à donner
de nouvelles marques et de nouveau repères dans
l’apprentissage de la
traduction technique.